"SERVIR LES ENSEIGNANTS ET NON SE SERVIR D'EUX"

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mardi 23 février 2016

SUITE 2 DE : La construction identitaire de l'enseignant sur le plan professionnel: un processus dynamique et interactif

Pour une définition de l'identité professionnelle de l'enseignant
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En fonction de ce qui précède, on peut caractériser le processus de constitution et de transformation de l'identité professionnelle de l'enseignant comme un processus dynamique et interactif de construction d'une représentation de soi en tant qu'enseignant, mû par des phases de remise en question, générées par des situations de conflit (internes ou externes à l'individu) et sous-tendu par les processus d'identisation et d'identification. Il est facilité par des liens de contiguïté avec l'autre et vise l'affirmation des sentiments de congruence, de compétence, d'estime de soi et de direction de soi. Ce processus, qui débute dès la formation du futur maître, mène à la construction et, virtuellement, à la transformation de la représentation que la personne a d'elle-même comme enseignant tout au long de sa carrière.
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Ce processus de construction identitaire se fonde à une conception de l'identité professionnelle de l'enseignant. Pour la cerner, il faut connaître les éléments qu'inclut la représentation de soi comme enseignant. Si on se reporte au modèle, on peut voir que celle-ci est tributaire à la fois de la représentation que l'enseignant a de lui, comme personne, et de celle qu'il a des enseignants et de la profession. Ces deux types de représentations recouvrent divers éléments qu'on peut tenter de circonscrire, sans prétendre à l'exhaustivité.
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La représentation de soi comme personne se rapporte aux connaissances, aux croyances, aux attitudes, aux valeurs, aux habiletés, aux buts, aux projets, aux aspirations que la personne se reconnaît ou s'attribue indépendamment de son contexte professionnel ou, à tout le moins, dans un sentiment d'affirmation de sa singularité par rapport à l'imposition de normes professionnelles.
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Le deuxième type de représentations porte sur les enseignants et la profession enseignante ou, plus justement, sur le rapport que l'enseignant et le futur enseignant entretiennent avec les enseignants et la profession enseignante, lequel est constitué de divers éléments, soit le rapport au travail, aux responsabillités, aux apprenants, aux collègues et au corps enseignant ainsi qu'à l'école comme institution sociale. Dans le débat actuel sur la professionnalisation de l'enseignement, ces différents éléments confortent la conception de l'enseignement en tant que profession requérant, entre autres, autonomie, réflexivité, et compétence éthique. C'est ce que donne à voir un bref examen de ces différents ordres de rapports.
Le rapport au travail
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On peut définir l'enseignant comme un professionnel de l'éducation/apprentissage[3]. Les deux termes sont indissociables puisque l'enseignant est un spécialiste des stratégies éducatives ayant pour but de favoriser des apprentissages, voire la maîtrise même des processus d'apprentissage chez l'autre. L'enseignement est un service public, visant le bien-être de la collectivité en contribuant au développement des personnes qui vont composer et gouverner la société de demain, assurant ainsi sa pérennité, et idéalement, dans une société démocratique, favorisant l'accès pour le plus grand nombre à une meilleure qualité de vie. L'acte éducatif est par ailleurs un acte complexe (Perrenoud, 1993; Conseil supérieur de l'éducation, 1991) – complexe, réflexif et interactif selon les termes du Conseil supérieur de l'éducation (1991) – requérant la maîtrise de plusieurs savoirs, tant théoriques que pratiques, et de plusieurs habiletés. Savoirs pédagogiques et didactiques, savoirs disciplinaires, connaissances dans le domaine de l'évaluation des apprentissages, habiletés relationnelles, sens de l'éthique en sont autant d'exemples. C'est d'ailleurs dans un rapport de responsabilité, et ce, à plusieurs égards, que l'enseignant assume sa fonction.
Le rapport aux responsabilités
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L'enseignant est responsable, envers la société, de l'éducation de ses membres. Il est imputable de ses actes. La notion d'imputabilité est d'ailleurs de plus en plus présente dans nos sociétés utilitaristes, qui malheureusement l'interprètent souvent de manière trop comptable. Car si l'enseignant, et plus largement le système éducatif, doit rendre compte de ses actes auprès du gouvernement, notamment en tant que représentant de la société et bailleur de fonds publics, c'est surtout en termes de qualité de la formation et d'aide à l'apprentissage qu'il doit le faire, et non en termes de rentabilité, dans le vocabulaire désormais passé dans le langage courant de rapports coût/production. La responsabilité qu'il a envers la société doit au contraire l'amener à réfléchir à sa fonction sociale et à l'orientation qu'il veut lui donner. Dans cet acte de réflexion, il peut participer à la définition ou redéfinition de sa profession, étant un acteur de la professionnalisation et non un simple pion sur l'échiquier de sa mise en place. Car la professionnalisation d'un métier est un processus dynamique auquel participent les acteurs de la profession et non pas la réitération en tous points conformes d'un modèle professionnel figé, fermé (Anadón, 1999; Gohier, Anadón, Bouchard, Charbonneau et Chevrier, 1999a). C'est le caractère réflexif de l'action éducative qui en fait une profession et non un répertoire, souvent trop vite institutionnalisé, d'actes entièrement définis.
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La responsabilité de l'enseignant s'exerce d'abord et avant tout à l'égard de l'élève ou de l'étudiant. Il est responsable de la qualité de sa formation et aussi d'un rapport avec lui dans lequel il n'abusera pas de son pouvoir, que ce soit sur le plan intellectuel par l'endoctrinement, entre autres, ou sur le plan affectif ou sexuel, par la séduction (Gohier, 1999). Cette responsabilité de maître/adulte (ayant la maîtrise de son savoir ou de son champ d'expertise), l'enseignant ne peut l'exercer que s'il est un véritable éducateur qui se soucie du développement global de la personne. Il ne peut l'avoir que s'il assortit son action pédagogique de considérations d'ordre éthique et déontologique (Gohier, 1997a; Gaudreau, Turgeon, Garnier et Buissonnet, 1999).
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La responsabilité de l'enseignant envers l'élève se double de celle qu'il a envers le parent, tuteur de l'enfant, responsabilité au sens de pouvoir répondre de ses actes envers les parents lorsqu'ils le demandent. Il reste que c'est l'apprenant qui est au coeur de l'action éducative.
Le rapport aux apprenants
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Comme certains l'ont déjà dit, sous forme de boutade, la finalité première de l'enseignant, comme spécialiste de l'éducation/apprentissage, c'est sa disparition. Il peut considérer sa tâche achevée lorsque l'élève est devenu suffisamment autonome pour poursuivre un processus de formation continue, qui, on le sait, dure toute la vie. Paradoxalement, c'est en instituant une relation de qualité avec l'élève qu'il atteindra ce but, car l'action éducative repose sur la relation pédagogique qu'entretient une personne avec une autre afin de favoriser son développement. L'importance de cette relation n'est plus à démontrer, même au début du troisième millénaire, dans une société caractérisée par la mondialisation et la globalisation des marchés et par la prépondérance des technologies de la communication qui envahissent tous les domaines, y inclus celui de l'éducation. Tout en préconisant une adaptation de l'éducation à cette «nouvelle civilisation», à ce monde du virtuel, l'UNESCO reconnaît aussi la prééminence de la relation pédagogique (Brunswick et Danzin, 1998).
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Outre l'aspect affectif, cette relation met en jeu d'autres dimensions. On oublie trop souvent de parler de la relation intellectuelle qui s'instaure entre l'enseignant et l'élève. En donnant l'information requise ou en l'orientant vers des pistes de solution ou vers les outils nécessaires pour les trouver, l'enseignant permet à l'élève de retracer la connaissance, voire de la réinventer, et, ultimement, de participer à sa construction. En mettant en oeuvre un ensemble de savoirs, disciplinaires, pédagogiques et didactiques, autant théoriques qu'issus de la pratique ou de l'action (Tardif, 1993; Gauthier et al., 1997), l'enseignant peut atteindre cet objectif, qui est en somme l'ultime finalité de l'éducation.
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On ne saurait non plus taire le rôle de modèle que peut jouer l'enseignant pour l'élève. L'enseignant exerce une inflluence sur l'élève par son comportement et par les valeurs qu'il véhicule, même dans les pédagogies actuelles non directives ou plus centrées sur l'élève. Davantage de cette manière, peut-être, puisqu'il ne fait plus figure d'autorité absolue et extrinsèque, mais plutôt d'accompagnateur sur les chemins du savoir, l'élève compagnon risquant d'autant d'intérioriser les valeurs qu'elles lui semblent intrinsèques, partie intégrante de son propre cheminement.
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Mais bien que l'enseignant soit en dernière instance seul avec ses élèves dans sa classe, il n'est pas l'unique acteur sur la scène de l'éducation. Bien d'autres instances et bien d'autres personnes y jouent un rôle important. Le ministère de l'Éducation, la direction de l'école, les commissions scolaires, autant d'intervenants qui ont voix au chapitre en ce qui concerne les orientations éducatives, les programmes scolaires et la formation des maîtres. Mais, au quotidien, c'est le rapport à la direction de l'école et aux collègues qui oeuvrent dans son établissement qui sont au coeur de la vie professionnelle de l'enseignant.
Le rapport aux collègues et au corps enseignant
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Dans sa conception de la professionnalité enseignante, le Conseil supérieur de l'éducation (1991) met l'accent sur cette caractéristique du travail de l'enseignant, en optant pour un professionnalisme collectif et ouvert qui fait appel «[...] à une ouverture de chaque enseignant ou enseignante à la concertation avec ses collègues ainsi qu'à la participation à la vie et aux orientations de l'établissement» (p. 26). Outre le rapport privilégié avec certains collègues avec qui les enseignants établissent des collaborations de travail (Gohier et al., 1999b), cette collégialité s'est concrétisée par la mise en place des conseils d'établissement (Harvey, 1999) issus de la réforme de l'éducation préconisée par la ministre Marois (Gouvernement du Québec, 1997). L'enseignant entretient également des rapports avec l'ensemble de ses collègues étant en lien avec des regroupements syndicaux et un ordre professionnel. Le travail de collaboration qui en découle rejoint cette autre dimension de l'identité professionnelle qu'est le rapport à la société.
Le rapport à l'école comme institution sociale
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Le projet éducatif est le lieu névralgique d'expression du mandat social dévolu aux enseignants et de sa réappropriation par les acteurs de l'éducation. L'enseignant participe à l'élaboration du projet éducatif spécifique à son établissement, celui-ci s'insérant dans un projet éducatif sociétal plus général, définissant les grandes lignes directrices de l'action éducative. Se manifeste là un des éléments de professionnalité de l'enseignant, dans sa participation à la formulation des finalités éducatives qui vont se traduire par des plans d'action spécifiques au sein de l'établissement dans lequel il oeuvre. Il est en cela un partenaire, avec d'autres acteurs sociaux, dans la prise de décision concernant les orientations éducatives à privilégier. Ainsi, même s'il reçoit son mandat de la société, puisque la mission première de l'enseignant est de former des citoyens conformes aux finalités qu'elle met de l'avant, il contribue, en retour, à la redéfinition constante de ce mandat.
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L'examen des composantes de la représentation de soi comme enseignant nous conduit à formuler la définition de l'identité professionnelle de l'enseignant comme suit. Il s'agit de la représentation que l'enseignant ou le futur enseignant élabore de lui-même comme enseignant. Elle se situe à l'intersection de la représentation qu'il a de lui comme personne et de celle qu'il a de son rapport aux enseignants et à la profession enseignante. Cette représentation porte sur les connaissances, les croyances, les attitudes, les valeurs, les conduites, les habiletés, les buts, les projets et les aspirations qu'il s'attribue comme siens. La représentation qu'il a de son rapport aux enseignants et à la profession enseignante porte sur son rapport à son travail, comme professionnel de l'éducation/apprentissage, à ses responsabilités, aux apprenants, aux collègues et autres acteurs impliqués dans l'école comme institution sociale.
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On peut par ailleurs se demander quelles qualités ces diverses composantes de l'identité professionnelle requièrent de la part de l'enseignant. C'est ce que nous examinons maintenant.
Les qualités requises de la part de l'enseignant
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Le rapport à soi comme personne ou, en termes synthétiques, la connaissance de soi requiert une capacité introspective qui demande une mise à distance avec soi. Cette mise à distance est rendue possible grâce à un esprit réflexif capable d'autoévaluation. La psychologie au XXe siècle, de quelque allégeance qu'elle soit, l'a bien montré, la connaissance de soi contre la tendance – naturelle et inconsciente – de la personne à projeter sur l'autre ses propres manques et lacunes. Tous les outils que nous a légués la psychologie, sans nécessairement entrer dans une démarche thérapeutique, peuvent être utiles à cet exercice «d'examen de soi», du simple regard introspectif à la narration autobiographique. On retrouvera par ailleurs la composante «connaissance de soi» décrite un peu plus loin.
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Quant au rapport aux enseignants et à la profession, on a vu qu'il comportait plusieurs éléments. Il est difficile de mettre terme à terme les qualités requises pour chacune de ces composantes, non pas parce qu'il est impossible de les identifier, mais plutôt parce que plusieurs composantes font appel à des qualités similaires. Aussi ferons-nous l'exercice, mais en identifiant les recoupements possibles.
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Dans la section rapport au travail, nous avons vu que l'enseignant était un professionnel de l'éducation/apprentissage et que l'enseignement était un acte complexe, réflexif et interactif, ce qui se reflète dans les autres composantes de l'identité, plus particulièrement dans le rapport aux apprenants. L'enseignement requiert donc la maîtrise de nombreux savoirs, dont plusieurs ont été mentionnés: savoirs disciplinaires, pédagogiques et didactiques – d'ordre théorique et pratique – et l'acquisition de plusieurs compétences, dont la capacité réflexive. C'est en analysant constamment sa propre pratique, en ayant une distance par rapport à celle-ci, et en la réajustant que l'enseignant exerce sa fonction en qualité de professionnel. Cette capacité analytique se double d'un sens praxéologique qui permet de faire le pont entre la théorie et la pratique et d'effectuer des choix. Pour ce faire, l'enseignant devra exercer son jugement. Hare (1993)[4] définit le jugement comme la capacité d'évaluer de façon critique l'information disponible, les raisons qui sont invoquées pour soutenir un point de vue plutôt qu'un autre lors d'une prise de décision. Réflexion, analyse, jugement sont donc nécessaires pour effectuer des choix proprement éducatifs, qui ne reposent pas uniquement sur un rapport d'émotivité aux événements et aux choses.
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Ces compétences ou capacités ne peuvent par ailleurs s'exercer sans l'autonomie de l'enseignant. Autant à certains égards et dans une certaine mesure, il devra agir de concert avec ses collègues, autant il doit pouvoir fonctionner de façon indépendante, en prenant des décisions dont il assume la responsabilité. Enfin, le réajustement constant de ses pratiques implique la capacité à s'autoévaluer. Pour ce faire, il devra par ailleurs avoir une bonne connaissance de soi, comme nous l'avons vu.
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Dans la section rapport aux responsabilités, on a vu que la responsabilité de l'enseignant, en tant que professionnel, envers le public et en tant que maître/adulte, envers l'enfant, devait s'exprimer, entre autres, par la prise en compte de considérations d'ordre éthique dans l'exercice de sa fonction. Pour ce faire, il doit avoir une connaissance des règles déontologiques régissant sa profession. Ces règles, statuant sur les devoirs du professionnel envers le «client» (respect, intégrité, etc.), qu'elles soient codifiées par un ordre professionnel ou non, ne sont par ailleurs pas suffisantes pour assurer une pleine compétence éthique chez l'enseignant. Il faut d'abord et avant tout développer un sens éthique chez celui-ci, soit une compréhension de l'importance de ces questions dans l'exercice de ses fonctions. Si les règles déontologiques stipulent les devoirs que l'enseignant a envers l'élève et envers sa profession, elles ne circonscrivent en effet pas tout le domaine de l'éthique qui englobe, de façon plus générale, la réflexion sur la conduite humaine. Or, on le sait, toutes les conduites humaines ne sont pas codifiées et ne doivent certainement pas l'être. En sus de sa propre conduite, l'enseignant devra jauger celle de l'élève, qui devra parfois être sanctionnée. Les situations qui appellent une réflexion d'ordre éthique étant variées, il est important que l'enseignant développe une capacité à réfléchir aux dilemmes d'ordre éthique qui se présentent, au cas par cas, sous la forme de la délibération éthique, par exemple (Racine, Legault et Bégin, 1991).
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Dans la section rapport aux apprenants, on a mentionné l'importance de la relation pédagogique, qu'elle soit d'ordre intellectuel, affectif ou moral, au sens large du terme, faisant référence à l'influence que peut exercer l'enseignant, en tant que porteur de valeurs, sur l'élève, comme modèle – au sens fort ou faible du terme. Pour instituer cette relation, l'enseignant devra faire preuve d'une capacité relationnelle, soit être capable d'entrer en relation avec l'autre. Cette capacité se manifeste par des qualités d'empathie et d'écoute, comme l'ont fait valoir les pédagogues humanistes, mais également par cette autre qualité qu'ils ont dénommée congruence. Or, la congruence, comprise comme cohérence ou concordance, chez un individu, entre le dire, le faire et le penser est impossible à réaliser sans une bonne connaissance de soi, qu'on a vue dans la composante représentation de soi. On rejoint ici également la capacité à s'autoévaluer déjà relevée dans la section rapport au travail. Cette connaissance de soi exige que la personne soit capable d'introspection, et aussi qu'elle connaisse les mécanismes d'ordre psychologique qui régissent les relations interpersonnelles, notamment ceux d'introjection et de projection qui aident à faire le partage entre ce qui appartient à soi et ce qui appartient à l'autre dans l'univers complexe de la relation. Mais cette connaissance de soi ne devrait pas se limiter à la dimension psychologique et affective de la relation pédagogique. Elle devrait aussi toucher les dimensions intellectuelle et morale de la personnalité, par une connaissance, d'une part, des capacités et des limites intellectuelles de chacun et, d'autre part, des valeurs qu'il véhicule souvent de façon implicite et qu'il doit rendre explicites. Cette connaissance de soi facilitera d'ailleurs les relations qu'il établira avec ses collègues.
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En référence à la section Le rapport aux collègues et au corps professoral, outre les compétences relationnelles qui viennent d'être évoquées, l'enseignant devra posséder un sens de la collégialité, de partage et de rapport avec ses collègues, lequel sera généré entre autres par un sentiment d'appartenance à ce groupe. Ce sentiment d'appartenance peut lui-même être développé par la formulation d'objectifs communs dans le cadre du projet éducatif, par exemple, mais également par l'exercice de la mise en commun des pratiques pédagogiques aussi bien que des difficultés rencontrées en situation d'enseignement. Cette mise en commun requiert une compétence dialogique, à savoir une capacité à discuter avec ses pairs et à arriver, lorsque cela est nécessaire, à des décisions consensuelles. Cette collégialité se manifeste aussi par la capacité à travailler en équipe sur des projets communs, d'ordre scolaire aussi bien que parascolaire, comme on l'a relevé. Mais les collègues ne sont pas les seuls acteurs de l'éducation avec qui l'enseignant doit engager un dialogue. Il doit interagir avec tous les intervenants du monde de l'éducation, au premier chef ceux qui ont un lien avec l'établissement dans lequel il oeuvre.
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À la section Le rapport à l'école comme institution sociale, on a vu que le projet éducatif était le lieu névralgique de la rencontre du mandat que la société donnait aux enseignants et de leur participation à la définition ou redéfinition de ce mandat. Pour pouvoir intervenir dans la formulation de ce projet, l'enseignant doit avoir une connaissance des demandes sociales qui lui sont adressées et, plus largement, de la culture dans laquelle s'insère l'école, comme institution sociale. Ce n'est en effet qu'en connaissant le contexte et les enjeux des demandes de la société envers l'école qu'il pourra prendre des décisions éclairées sur les orientations éducatives et pédagogiques à privilégier. Pour prendre part à cette discussion, il lui faudra acquérir une compétence argumentative. Pallascio, Angenot, Lafortune, Nachbauer et Gosselin (1999) insistent sur l'importance, pour l'enseignant, de s'affirmer professionnellement, c'est-à-dire de défendre ses choix, éventuellement par «l'expression d'un engagement au service d'une situation problématique par laquelle le pédagogue se sent rejoint et concerné, qui le pousse à assumer une responsabilité, à l'exercer, à se compromettre, et qui devient ainsi progressivement pour lui l'objet d'une véritable cause mobilisatrice» (p. 60).
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Les qualités identifiées ici peuvent être mises en rapport avec deux éléments structurels essentiels au processus de construction identitaire sur le plan professionnel, soit les mécanismes d'identisation et d'identification. On retrouve en effet dans les qualités énumérées la présence constante et concomitante de la connaissance de soi et du rapport à l'autre. Une synthèse des qualités énumérées, même si elle est réductrice, étaie ce constat.
• Rapport à soi: capacité introspective, réflexive, d'autoévaluation.
• Rapport au travail: savoirs, capacité réflexive, capacité à faire le transfert entre la théorie et la pratique, capacité analytique, capacité à faire des choix, jugement, autonomie, capacité à s'autoévaluer.
• Rapport aux responsabilités: connaissance des règles déontologiques, sens éthique, délibération éthique.
• Rapport aux apprenants: capacité relationnelle, empathie, écoute, congruence, connaissance de soi, capacité introspective, connaissance des mécanismes psychologiques, connaissance de ses capacités et limites intellectuelles et de ses valeurs.
• Rapport aux collègues: collégialité, sentiment d'appartenance au groupe, compétence dialogique, capacité à travailler en équipe.
• Rapport à la société à travers l'école: connaissance des demandes sociales, de la culture, capacité à s'affirmer, compétence argumentative.
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Sous chaque composante se retrouvent des éléments qui font référence à la connaissance de l'autre (élève, collègue, société) et à la capacité d'entrer en relation avec cet autre (capacité relationnelle et dialogique entre autres) qui a, en retour, des influences sur soi (culture, savoirs, demandes sociales, appartenance au groupe). Ce rapport à l'autre fait aussi appel au retour sur soi, à la connaissance de soi (capacité introspective, valeurs, capacités et limites intellectuelles). Ceci vient conforter l'idée que dans les éléments qui composent l'identité professionnelle et qui concourent à sa construction, les pôles identitaires d'identisation et d'identification sont présents. Autrement dit, les mécanismes de la construction identitaire se reflètent dans les qualités requises dans l'enseignement comme profession, ce qui conforte l'idée que l'identité professionnelle ne saurait être uniquement une identité socialement donnée (par le groupe des enseignants ou, plus largement, par la société), mais est composé de ce qu'on peut appeler l'identité personnelle (que la personne, s'attribue comme telle) et de l'identité sociale de la personne et fait appel à des dimensions psycho-individuelles et sociales dans sa constitution.
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Ainsi, le processus de construction de l'identité professionnelle, par la mise en oeuvre conjuguée des processus d'identisation et d'identification et du rapport dialectique à soi et à l'autre, est essentiellement de nature dynamique et interactive. Son caractère dynamique est largement tributaire des phases de crise et de remise en question vécues par les enseignants. Cet aspect de la dynamique identitaire est illustré par l'analyse d'entrevues faites auprès de deux groupes d'enseignantes.
Cheikh Tidiane Hanne chargé communication sels originel

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