"SERVIR LES ENSEIGNANTS ET NON SE SERVIR D'EUX"

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mardi 29 janvier 2019

RAPPEL SUR L'ETHIQUE PROFESSIONNELLE ENSEIGNANTE


Réflexions générales sur l’éthique professionnelle enseignante
Pierre Kahn
p. 105-116

1Parler d’une éthique professionnelle enseignante, c’est parler de deux choses : des valeurs fondatrices du « choix d’éduquer » (axiologie), telles l’égalité de traitement des élèves, le postulat d’éducabilité, etc., et des normes définissant des obligations concrètes (déontologie), tels le devoir de réserve, l’obligation d’informer les parents, etc. Mais c’est aussi inscrire la profession enseignante dans une perspective inédite, celle de l’individualisme démocratique contemporain qui l’invite à se « professionniser » sur le modèle des professions libérales. Ceci implique une auto-organisation du corps et une élaboration collective de ses valeurs et de ses normes. Là se trouvent peut-être les limites de l’idée d’éthique professionnelle enseignante. Car on en espère une clarification et une cohésion plus grandes de pratiques aujourd’hui brouillées et diversifiées par la désinstitutionnalisation même de l’école, alors qu’elle la signifie. Il y a « désinstitutionnalisation » lorsque que c’est aux enseignants eux-mêmes qu’il incombe de se mettre d’accord sur les règles qui guident leurs actions et sur les principes éthiques qui orientent ces règles.
2« Éthique » ou « morale » professionnelle ? La première question est posée par l’incertitude même de cette synonymie établie entre les deux substantifs que l’adjectif « professionnelle » vient ici qualifier. Doit-on ou non reconnaître l’équivalence des notions de morale et d’éthique ?
3Lorsqu’elles sont distinguées, elles peuvent l’être de deux façons. L’une fait de la morale une théorie de la loi et de l’éthique une théorie de la vie bonne ; « l’éthique recommande » quand « la morale « commande » (Prairat, 2005, p. 7). L’impératif catégorique kantien ne saurait être que « moral », en revanche les propos d’Aristote à son fils Nicomaque ne pouvaient avoir d’autre traduction que celle proposée par le mot « éthique ». L’autre façon de distinguer morale et éthique est de faire de celle-ci une sorte de méta-morale, c’est-à-dire une réflexion sur les règles et commandements moraux qui s’imposent ordinairement aux personnes : distinction disqualifiante pour la morale, toujours suspectée d’être « une vieille pensée grincheuse et agitant le martinet, occupée de normaliser les pensées et les actes » (Canto-Sperber, 2001, p. 25). L’éthique retirerait au contraire de sa posture réflexive les bénéfices d’un préjugé favorable, la noblesse de la lucidité délibérative et démocratique. En ce sens, il ne viendrait par exemple à personne de remplacer le mot « éthique » par celui de « morale » dans une expression comme « comité d’éthique ». Dans cette perspective, « morale professionnelle » aurait le sens quelque peu désuet et autoritaire de « règles imposées du dehors aux membres d’une profession », alors qu’« éthique professionnelle » supposerait, de façon beaucoup plus moderne, l’implication consciente et réfléchie de ceux qui sont concernés par ces règles, leur capacité à participer à leur production, c’est-à-dire en somme leur autonomie. C’est d’ailleurs ce que semble confirmer les ouvrages, articles ou colloques, finalement assez nombreux, qui traitent aujourd’hui de cette question pour le monde enseignant : tous parlent beaucoup plus volontiers d’éthique professionnelle enseignante que de morale professionnelle enseignante. Contre-épreuve : quand le Livre des Instituteurs connu sous le nom de « Code Soleil » définit les devoirs de l’enseignant, il le fait sous le chapitre « morale professionnelle », dans lequel il n’hésite pas à inclure des règles de la vie privée, énoncées avec toute la morgue et le conformisme qu’on attache aujourd’hui au mot même de « morale ». C’est notamment le cas à propos de la vie privée des institutrices : « L’institutrice surtout aura à se surveiller. Un écart, qu’elle a pu considérer comme une innocente distraction, sera exploité par les méchantes langues […]. La “demoiselle” de l’école ne doit pas vivre esseulée comme une sainte dans une niche, mais elle ne saurait non plus impunément se mêler à des exubérances de mauvais aloi, ni se prêter à des fréquentations douteuses » (Code Soleil, 1958, p. 18).
4Pourtant, cette distinction entre éthique et morale ne va pas de soi, et on peut légitimement lui objecter ce que dit Monique Canto-Sperber à son sujet : « Je vais décevoir le lecteur en soulignant qu’en général, je me sers des termes “morale” et “éthique” comme de synonymes. Une opposition trop forte entre la morale et l’éthique me paraît plus soucieuse d’effets d’annonce produits par les mots que des démarches intellectuelles en cause. Après tout, il n’y a aucun doute sur le fait que les termes “morale” et “éthique” désignent le même domaine de réflexion » (Canto-Sperber, 2001, p. 25). La différence entre « morale » et « éthique » est en effet moins conceptuelle qu’étymologique : le mot latin moris (les mœurs), d’où vient « morale », n’étant que la traduction du grec ethos. C’est la raison pour laquelle, suivant en cela M. Canto-Sperber, nous ne ferons pas de distinction essentielle entre les deux termes, même si, conformément à ce qui n’est rien d’autre qu’un usage, nous parlerons plus fréquemment, à propos de la profession enseignante, d’éthique que de morale.

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